Interview, 10 octobre 2016
Monsieur Klass-Amann pourquoi avoir écrit cet ouvrage sur l'islam et de la violence, n'y en a-t-il pas beaucoup d'autres qui traitent de ce sujet ?
O. Klass.Amann: Aucun traitant directement de ce nœud gordien des relations entre le monde musulman et le reste de l'humanité. Le corpus de textes religieux islamiques, dans le Coran, les hadiths, les faits et gestes du Prophète, les sentences du droit musulman classique, servent de légitimation et d'exemples aux violences contemporaines, celles qui nous touchent directement. Il fallait l'exposer au grand jour, au public occidental, afin que cette question puisse être discutée à fond et résolue.
Manquez-vous de respect vis-à-vis de l'islam , comme le disent certains croyants?
O. Klass.Amann: La première forme de respect vis-à-vis d'un doctrine, d'une idéologie, est la peine que l'on prend dans l'étude de ce que l'on dit vouloir "respecter". Étudier la vie du Prophète, parcourir les recueils de hadiths, comparer les sentences des grands juristes sunnites, se familiariser avec les grandes controverses de l'histoire de l'islam, comprendre -pour mieux situer les événements juridiques et historiques dans leur contexte géographique, social et politique - les grandes étapes historiques du monde musulman, sont des étapes essentielles à qui veux "respecter" la civilisation musulmane. La plupart des gens qui critiquent « Pourquoi Daech nous tue » ignorent ces données fondamentales de l'étude de l'islam.
Beaucoup de musulmans disent que ce type d'ouvrage remue le couteau dans la plaie, trouble une opinion déjà inquiète. Ne faudrait-il pas laisser en paix une communauté déjà discriminée ?
O. Klass.Amann: Les groupes salafistes se nourrissent de ces textes religieux, ils s'en servent pour justifier leurs actions violentes et recruter, jour après jour, de nouveaux adeptes. Aujourd'hui comme il y a mille ans. Ne pas exposer le problème, ne pas en discuter, ne pas vouloir rechercher des solutions pour mettre hors d'état cette machine de mort, c'est mettre toute une communauté en danger. Les gens qui disent qu'il faut détourner les yeux et attendre que ça passe manquent de lucidité et de courage. Et ils mettent tous les musulmans en danger, spécialement ceux vivant dans les pays occidentaux.
En quoi votre livre se différencie-t-il des autres, exactement ?
O. Klass.Amann: Cet ouvrage est consacré aux origines de la violence en islam. C'est un sujet grave, qui peut avoir de lourdes conséquences pour chacun. Il fallait éclaircir le sujet, exposer les faits, présenter les références, dissiper les brumes de l'ignorance. Il n'est pas consacré spécifiquement au jihad, ni à la condition de la femme en Orient musulman, ni au colonialisme. Il ne s'agit pas d'un ouvrage apologétique en faveur d'une religion rivale de l'islam, ni d'un livre de propagande athée ou matérialiste. Ce n'est pas un commentaire du Coran, ni une autre biographie du Prophète. Il ne s'agit pas non plus d'une description de la vie quotidienne à La Mecque au temps du Prophète, ni d'une étude comparée des différentes écoles du droit musulman classique sunnite. « Pourquoi Daech nous tue » expose, systématiquement, les origines scripturaires - dans le Coran, les recueils de hadiths, spécialement celui de Bokhâri, et la vie du Prophète – de la violence en islam, pour l'islam. Il traite des exemples de recours à la violence donnés par le Prophète- homme exemplaire et donc source d'inspiration pour tous musulman - et contenus dans le texte coranique, les recueils de hadiths, la biographie du Prophète (par les auteurs musulmans moyenâgeux ou les historiens modernes) et ayant abouti aux règles du droit islamique sunnite, lequel découle des trois sources précitées.
Et ces références, tirées de l'islam classique, n'étaient pas connues en Occident ?
O. Klass.Amann: Bien sûr [rire] ! Ils sont parfaitement connus de tous les spécialistes occidentaux de l'islam depuis le XVIIIe siècle. Je veux parler des scientifiques qui ont consacré leur vie à l'étude de l'islam et de sa civilisation. Mais ce groupe humain est très restreint. Et ses liens avec le reste de la société sont ténus. L'élite politique occidentale, depuis 1800, ne s'est jamais vraiment intéressée à l'islam. Les politiques ne lisent guère les ouvrages produits par l'orientalisme scientifique. En général, ils sont remarquablement ignorants, et donc, vu l'évolution des choses, peux aptes à résoudre les problèmes contemporains.
Mais, pour parler de ces élites politiques occidentales, si elles ne lisaient rien, avant, pourquoi liraient-elles maintenant ?
O. Klass.Amann: Probablement parce qu'elles ont désormais peur que la situation ne leur échappe et que des forces politiques nouvelles, nettement plus radicales, ne les remplace. Et, peut-être, se retournent contre elles.
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Question : Monsieur Klass-Amann, certaines personnes disent que vous profitez de la situation sécuritaire actuelle pour faire de l'argent. Qu'en pensez-vous ?
O. Klass.Amann: Si je voulais faire de l'argent, sans risque, en restant dans le domaine littéraire, je choisirai d'autres sujets : du roman érotique au petit manuel de réalisation de soi, en passant par le polar, ils ne manquent pas. Rien n'est facile pour ceux qui veulent traiter de sujets aussi complexes et dangereux. Il est bien plus aisé de faire de l'argent dans le pétrole, sans poser de question, je vous l'assure.
D'autres disent que vous cherchez à séparer le monde en deux camps : les gentils non-musulmans d'un côté, les méchants musulmans de l'autre ?
O. Klass.Amann: Les terroristes salafistes s'y emploient eux-mêmes avec beaucoup d'efficacité. Pour obtenir le résultat que vous craignez, il n'y a qu'à les laisser faire. C'est ce que font la majorité des intellectuels, des religieux et des politiques. C'est lâche et cruel.
Et cette réforme de l'islam, comment pensez-vous qu'elle se matérialisera ?
O. Klass.Amann: Des hommes et des femmes courageux, bravant les menaces, imposeront une censure des textes religieux. Ils imposeront une lecture vertueuse, universelle, de ces écrits. Ce que l’Église catholique, par exemple, faisait, et fait encore, avec les textes, de l'Ancien Testament
Et vous pensez qu'un « musulman réformiste » parviendra à s'imposer à la masse de ses coreligionnaires ?
O. Klass.Amann: Je l'espère. C'est une question de courage, de vertu, d'abnégation. Ou d'instinct de survie.
N'est-il pas plus probable que ce « musulman réformiste » ne choisisse simplement de quitter l'islam ?
O. Klass.Amann: C'est, hélas, ce qui se produit le plus souvent. Vouloir changer l'islam de l'intérieur expose ceux qui s'y essayent à des actes d'intimidation, puis de violence. Donc, ces gens de bonne volonté, ouverts, finissent par renoncer... et quittent une barque en train de couler. La chose a été fréquente dans le sein de l’Église catholique, en Occident après Vatican II.
Monsieur Klass-Amann, au nom du Club de réflexion politique Orbis Terrae, je vous remercie.
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